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Philodynamie
17 décembre 2021

LAZARE EN POLITIQUE (15) : Etat de droit ?

 

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La démocratie libérale peut-elle se concevoir sans Etat de droit ? Ses contempteurs, dirigeants de régimes illibéraux, autocratiques et populistes, le proclament et n’ont de cesse de miner l’Etat de droit (Hongrie, Pologne) jusqu’à l’anéantir (la Russie de Poutine ou la Turquie d’Erdogan). Quant à la démocratie « aux caractéristiques chinoises » … Mais que répondre ? Qu’est-ce qu’un Etat de droit ? Qu’apporte-t-il à la démocratie ? Il n’est pas superflu de pousser un peu la réflexion.

 

Une première définition de l’Etat de droit a été posée dans sa version allemande de « Rechtsstaat » il y a environ un siècle par Hans Kelsen. L’Etat de droit est l’Etat dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées de telle sorte que sa puissance s’en trouve limitée. La formule en condense la substance mais de façon trop succincte. Elle appelle, pour en saisir pleinement la signification, un petit développement.

 

L’Etat de droit est un système institutionnel établi dans un cadre étatique – ou désormais, possiblement, dans un ensemble pluri-étatique comme l’Union européenne - dans lequel la puissance publique est limitée par le droit. Les gouvernants, sont, comme tout un chacun, soumis au droit.

 

Montesquieu l’avait relevé en son temps, ceux qui ont un pouvoir sont portés à en abuser. L’Etat de droit est établi pour prévenir l’abus de leurs pouvoirs par ceux-là même qui en sont détenteurs – président, gouvernement, parlement, parti-Etat, l’armée, la police – au détriment des droits des citoyens, le contrer lorsqu’il se produit, préserver les libertés et les autres droits fondamentaux, assurer l’égalité devant la loi. Contre l’abus, le système de l’Etat de droit met en place non seulement des contrepoids mais aussi une armature de garanties résultant de la primauté d’une pyramide hiérarchisée de règles de droit. Il ne suffit pas, en effet, d’équilibrer les pouvoirs car selon la conjoncture politique, il peut arriver qu’ils soient réunis dans les mêmes mains. C’est la Constitution, au sommet de la pyramide, qui doit assurer, en imposant la primauté du droit, une protection efficace. Chacun, puissant ou misérable doit être, en même temps, soumis au droit et en capacité, s’il y a lieu, de faire valoir ses droits devant un juge indépendant garant d’un procès équitable.  

 

La hiérarchie des règles de droit implique que chaque règle tire sa validité de sa conformité aux règles supérieures, les règles les plus hautes étant celles que fixe la Constitution, contrat politique suprême d’une communauté nationale dans un régime démocratique. Ou le cas échéant, comme on l’a vu, supra nationale. Ainsi la Constitution française en vigueur incorpore une protection des droits fondamentaux, pour l’essentiel dans son Préambule dont il n’est pas inutile de citer in extenso le premier alinéa : « Le peuple français proclame solennellement son attachement Droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu’aux droits et devoirs définis dans le cadre de la Charte de l’environnement de 2004 ». Les principes contenus dans la Déclaration de 1789, le préambule de la Constitution de 1946 et la Charte de l’environnement, principes écrits auxquels le Conseil constitutionnel a ajouté des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » mentionnés dans le préambule de la Constitution de 1946, constituent ce que les juristes appellent le « bloc de constitutionnalité ». Les principes contenus dans ce bloc sont des garde-fous. Dans un Etat de droit, les détenteurs de pouvoirs politiques ne peuvent faire adopter de mesures qui leur seraient contraires, et ce alors même qu’ils s’appuieraient sur une majorité. L’Etat de droit protège les minorités. Il prévient la tentation d’abus de pouvoir attentatoire aux libertés individuelles et politiques et à l’ensemble des droits fondamentaux.

 

Mais l’encadrement constitutionnel doit être suffisamment robuste et, surtout, reconnu comme légitime. Car, en France par exemple, lorsque le Conseil constitutionnel déclare contraire à la Constitution une loi, soit ab initio après son vote par le parlement et avant sa promulgation, soit a posteriori à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité dans le cadre d’une affaire portée devant un juge, certains, favorables à cette loi, ont tôt fait d’agiter l’épouvantail du gouvernement ou de la politisation des juges ! Comme, d’ailleurs, les exemples abondent, des professionnels de la politique lorsqu’ils font l’objet de poursuites judiciaires. L’indépendance des juges, qu’ils soient juges constitutionnels de la loi votée, juges administratifs – en France le Conseil d’Etat et les juridictions administratives devant lesquels on peut obtenir l’annulation de décisions du pouvoir exécutif (gouvernement, préfets, maires, etc.) si elles sont illégales - juges judiciaires, en particulier juges d’instruction, tribunaux correctionnels et cours d’assises, est une condition essentielle, vitale, de l’Etat de droit. Il n’est donc pas étonnant de voir avec quelle constance, les pouvoirs autocratiques s’attaquent au système judiciaire jusqu’à ce qu’il soit, comme en Russie, complètement domestiqué. D’autant que l’autocratisme favorise la corruption et que les politiciens corrompus ne se maintiennent au pouvoir et aux affaires juteuses que s’ils s’assurent de l’impunité. La Russie toujours…

 

La justice constitue-t-elle pour autant un pouvoir ? La Constitution française de 1958 n’emploie pas l’expression de pouvoir judiciaire, mais d’« autorité judiciaire ». Soit, mais, quand le Conseil constitutionnel invalide une loi, quand le Conseil d’Etat annule un décret du gouvernent, quand un tribunal correctionnel condamne une personne, ils exercent bien un pouvoir. Détenteurs d’un pouvoir, ne faut-il pas craindre que les juges en abusent ? L’Etat de droit borne tous les pouvoirs, ceux des juges y compris, qui ne sont indépendants qu’en tant qu’ils exercent leur fonction de juges et qu’ils appliquent le principe de légalité. C’est-à-dire qu’ils se conforment eux-mêmes au droit.

 

Mais l’Etat de droit ne pourrait-il jouer contre la démocratie ? C’est ce que prétendent ceux qu’il gêne. Leur remède serait, pour faire bref, de passer par le référendum, présenté comme l’instrument par excellence d’expression de la volonté du peuple citoyen, pour faire adopter des mesures contrevenant à des droits et libertés constitutionnels et contourner ainsi – démocratiquement disent-ils puisque le décision est prise par une majorité de votants - la censure d’une cour constitutionnelle (en France le Conseil constitutionnel). C’est effectivement la voie adoptée, notamment en Europe, par les promoteurs de régimes illibéraux …   

 

L’Etat de droit, quant à lui, est inhérent à la démocratie libérale. Il en révèle l’authenticité. Si l’on quitte le droit romano-germanique dont sont issus les systèmes juridiques français et allemand, notamment, pour s’intéresser à la common law anglo-saxonne, il prend le nom de « Rule of Law », le règne du Droit. Au-delà des spécificités des régimes juridiques, cela revient au même.

 

L’Article 1bis du Traité sur l’Union européenne en fait une valeur commune fondamentale aux différents Etats de l’Union, au grand dam des populistes, notamment est-européens mais pas seulement : « L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’Etat de droit, ainsi que le respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités ». La même disposition en anglais est ainsi rédigée ; « The Union is founded on the value of respect for human dignity, freedom, democracy, equality, the rule of law and respect for human rights, including the rights of persons belonging to minorites ». On voit que « rule of law » traduit bien « Etat de droit ».

 

Les libertés individuelles et politiques ne peuvent subsister et s’épanouir que dans une communauté politique ayant établi un Etat de droit. C’est leur écosystème vital, dans lequel en retour la liberté infuse la démocratie. Cela dit, l’Etat de droit est fragile. S’il n’est adossé à l’engagement politique et démocratique des citoyens, il ne peut avoir de consistance véritable.

 

(Lazare Z / A SUIVRE)

 

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