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Philodynamie
26 novembre 2021

LAZARE EN POLITIQUE (14) : Liberté(s) et démocratie

 

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 Paul Valéry disait dans ses « Regards sur le Monde actuel » que le mot « Liberté » est « un de ces détestables mots qui ont plus de valeur que de sens ; qui chantent plus qu’ils ne parlent ». Il ajoutait : « La liberté est une sensation. Cela se respire ». J’en conviens sans réserve. La liberté c’est d’abord une sensation. Une sensation et un pouvoir, ce qui n’est pas antinomique. La vraie liberté, disait Montaigne (et plus tard Voltaire en termes voisins), « c’est pouvoir toute chose sur soi ». Une frustration quand on ne peut pas, comme l’expérience des confinements l’a si bien montré. Dans son Discours sur la servitude volontaire, La Boétie en évoquait, quant à lui le goût et la saveur : la liberté perdue, « tous les maux viennent à la file, et les biens mêmes qui demeurent après elle perdent entièrement leur goût et saveur, corrompus par la servitude ».

 

C’est de cette appréhension, disons concrète, de la liberté, ou plutôt des libertés individuelles et politiques, celles dont tout un chacun peut éprouver l’étendue et les limites, que je partirai pour évoquer la dimension libérale de la démocratie. C’est dire que je ne m’engagerai pas dans une réflexion, par exemple, sur les apories du déterminisme et du libre arbitre mais, sans nier qu’il puisse y avoir sur ce point un sujet aussi épineux que passionnant – voir en particulier le renouvellement de cette problématique aux temps de l’intelligence artificielle par Gaspard Koenig dans « La fin de l’individu » (Editions de l’Observatoire) – que je m’en tiendrai aux incarnations de la liberté dans une communauté sociale et politique.

 

Les libertés que j’évoque sont pour l’essentiel celles que mentionne, dans son langage de la fin du XVIIIème siècle, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, celles qui participent des « droits naturels, inaliénables et sacrés » ou des « droits naturels et imprescriptibles » de l’Homme. On laissera au « sacré » un sens purement symbolique pour parler, en langage contemporain, de droits humains fondamentaux : la liberté d’aller et venir, de faire « tout ce qui ne nuit pas à autrui », les libertés de conscience, de croyance, d’opinion, d’expression, de communication des pensées, d’entreprendre, la sûreté, les libertés universitaires, les libertés politiques d’association, syndicale, de manifestation, de suffrage, de choisir ses dirigeants, de les changer, de participer au débat et la décision politiques et même de « résistance à l’oppression ». Est-il d’ailleurs besoin d’énumérer ?

 

Le problème est en effet moins d’énumérer que d’apprécier en quoi les libertés sont indispensables à la vie démocratique et comment en garantir l’exercice. Revenons un instant à Montaigne et à Voltaire : l’expression « être libre » signifie pouvoir. En démocratie, in fine, pouvoir politique ; ce qui implique, si l’on accepte l’idée qu’il ne peut être exercé par tout un chacun citoyen que librement informé et librement déterminé, que toutes les libertés individuelles et politiques mentionnées plus haut soient effectives. Mais à ce postulat s’oppose la postulation de beaucoup à davantage d’autorité. La liberté entrerait en conflit avec le besoin de sécurité.

 

C’est ce besoin qu’exploitent cyniquement les prétendants autocrates populistes. Une fois au pouvoir, le glissement illibéral qu’ils mettent en œuvre n’affecte généralement pas la dimension formelle des libertés mais mord sournoisement sur leur substance jusqu’à les priver de sens (voir le message XII, le scenario populiste de l’autocratisation, de cette suite). La Hongrie d’Orban est à cet égard cas d’école, où l’on voit un pouvoir d’origine démocratique – Orban a gagné dans les urnes une ample majorité dans le parlement hongrois – s’emparer de tous les pouvoirs dans le respect formel des procédures démocratiques, maîtriser les organes de communication politique et sociale et écarter toute opposition, au nom même de la démocratie.

 

La Hongrie, mais aussi et peut-être plus visiblement encore la Pologne – pour ne pas parler de la Russie de Poutine et de la démocratie aux caractéristiques chinoises du bon M. Hi – nous montrent comment les régimes illibéraux, qui soutiennent le contraire, réduisent le champ effectif des libertés individuelles et politiques en s’en prenant à tous ceux qui susceptibles de faire contrepoids à leur hégémonie : en particulier les media non inféodés, les universités frondeuses, les cours constitutionnelles et les autorités indépendantes, les oppositions politiques qu’ils s’efforcent de disqualifier (ah ! le régime de Poutine). Enfin à ceux dont la fonction même est la protection des droits et libertés, les juges, du moins ceux qui refusent la soumission, accusés de vouloir gouverner et qu’il faut écarter ou rabaisser.

 

Or, l’effectivité de l’exercice des libertés signifie respect de l’Etat de droit, un sujet si important qu’il mérite qu’un message, le prochain message, lui soit entièrement consacré.

 

Je terminerai celui-ci en m’effaçant derrière le poète, Paul Eluard qui écrivit en 1942, durant la période noire de l’occupation - que des populistes révisionnistes d’aujourd’hui s’efforcent encore, au nom de leur obsession identitaire, de réhabiliter – le poème Liberté, dont on connaît généralement la première strophe : « Sur mes cahiers d’écolier / Sur mon pupitre et les arbres / Sur le sable sur la neige / j’écris ton nom ». C’est toutefois avec la dernière strophe de ce poème que je choisis de clore ce message :

 

« Et par le pouvoir d’un mot

Je recommence ma vie

Je suis né pour te connaître

Pour te nommer »

 

(Lazare Z / A SUIVRE)

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