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Philodynamie
6 mai 2022

LAZARE EN POLIQUE (16) : Démocratie libérale et Solidarité

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La garantie des libertés individuelles et politiques dans le cadre d’un Etat de droit constitue l’écosystème indispensable à l’épanouissement de la démocratie libérale mais la pérennité de l’Etat de droit, exposé aux aléas de la vie politique et aux courants contraires portant à davantage d’autorité, n’est pas assurée sans un ferme adossement à l’engagement politique et démocratique des citoyens. Ce qui peut sembler aller de soi mais appelle néanmoins un peu de réflexion.

 

La naissance de la démocratie est liée à la reconnaissance de l’individu dégagé des obligations résultant de son appartenance à une communauté. Pas de démocratie sans émancipation de l’individu et exercice de sa capacité d’autodétermination, en définitive de consécration de sa liberté individuelle. En démocratie, le mot liberté est associé à l’individualisme.  

 

Les Libertariens, présents surtout aux Etats-Unis et dont l’une des figures les plus célèbres du moment est Elon Musk, étirent la conception la liberté individuelle à l’extrême. Ils l’entendent comme le droit de faire ce que l’on veut de ce que l’on possède seulement limité par le respect des droits d’autrui à en faire autant, le principe suprême.

 

L’idéologie libertarienne a diffusé. Développée et portée par des auteurs de talent, le père fondateur Friedrich Hayek (« La Constitution de la Liberté » 1961), le célèbre économiste de l’école de Chicago Milton Friedman (« Capitalisme et Liberté » 1962) et le philosophe Robert Nozick (« Anarchie, Etat et Utopie » 1974), elle a servi de substrat idéologique aux politiques dites néo-libérales, incarnées par Margaret Thatcher et Ronald Reagan, caractérisées par l’Etat minimal, la libéralisation des marchés et l’opposition corrélative à la régulation étatique. Entendons par là que, sans emporter une pleine adhésion, elle a fortement influencé ces politiques qui ont été reprises, avec ou sans nuances, dans quasiment tous les pays occidentaux durant les dernières décennies du XXème siècle jusqu’à ce que la crise économique mondiale survenue en 2008, puis la pandémie de la covid-19, amènent à les questionner.

 

Dans sa forme la plus achevée, le principe cardinal de l’idéologie libertarienne repose sur l’idée de propriété de soi. Cela va très loin. La redistribution, notamment via des programmes sociaux, financée par l’impôt, est vue comme une forme de coercition inacceptable. Les Libertariens sont aussi opposés aux lois qui protègent les gens contre eux-mêmes, par exemple des lois imposant aux motards le port du casque et aux automobilistes celui de la ceinture de sécurité, des lois interdisant la vente d’organe… L’obligation vaccinale, concernerait-elle seulement certaines professions ou certaines activités, y a été naturellement vue comme une atteinte insupportable au droit fondamental de chacun à sa liberté individuelle.

 

Les Libertariens et à leur suite les néo-libéraux fanatiques du marché et ceux qui poussent la logique de l’individualisme à l’excès font comme si l’individu ne s’inscrivait pas dans une société. Une société qui, certes, fait subir à tout individu une forme de dépendance mais lui offre aussi, dans une démocratie libérale, une protection de son autonomie et un cadre favorable à l’exercice de ses libertés fondamentales et de libertés nouvelles. 

 

Ecoutons Edgar Morin : « L’essor extraordinaire de l’individualité humaine, dépositaire de la pensée, de la conscience, de la réflexion, curieuse du monde physique et de l’inconnu métaphysique, ne doit pas nous amener à réduire l’humain à la seule individualité (…). L’humain se définit d’abord comme trinité individu-société-espèce : l’individu est un terme de cette trinité » (La Méthode, 5). Passer du « Je » au « Nous » convoque une autre exigence que la protection légitime et indispensable de nos libertés individuelles, une exigence de solidarité au sein du groupe social considéré, notamment au sein de la nation parce qu’elle est de nos jours un groupe social majeur dans l’organisation de nos vies.

 

La liberté individuelle est un droit fondamental ; elle ne légitime pas pour autant toute revendication, pas tout comportement. Elle est indissociable de la responsabilité individuelle de chacun envers les autres. Cela vaut évidemment, en temps de pandémie, en matière de protection de la santé, de la vie.

 

La démocratie n’a de sens qu’en tant que collectif ; elle s’applique à une société ; elle ne peut fonctionner sans préservation d’un lien social que chacun puisse s’approprier ; elle requiert de satisfaire les impératifs du vivre-ensemble. L’impératif de responsabilité et de solidarité s’y applique forcément. Il n’implique pas, en soi, de rechercher aussi l’égalité, deuxième terme de notre trinité républicaine. Mais en démocratie, serait-elle qualifiée de libérale, il est difficile de nier que s’exprime une aspiration à l’égalité déjà observée en son temps par Alexis de Tocqueville dans son observation de la toute nouvelle démocratie américaine. C’est une aspiration consubstantielle au pouvoir du peuple qui se traduit a minima par l’égalité en droit.

 

Certes, les démocraties les plus achevées, celles qui se portent le mieux (ou le moins mal), en particulier au Nord de l’Europe, tolère les inégalités économiques. On sait d’expérience que ceux qui ont tenté d’imposer l’égalité par la force n’ont abouti qu’à la dictature, la nomenclature, la corruption prédatrice. A un échec total. La liberté, en particulier celle d’entreprendre, mais aussi le sens commun, laissent peu de doute sur l’utopie égalitaire quand elle tend à l’égalité parfaite mais comment ne pas voir que les inégalités économiques trop marquées, en Amérique latine, aux Etats-Unis par exemple, ruinent la démocratie. Les stratifications qu’elles induisent nourrissent le ressentiment des perdants – ou de ceux qui se sentent tels - contre le « système » identifié aux institutions de la démocratie libérale et font le lit du populisme. Elles agissent comme un acide qui ronge la coopération humaine, fracturent la société, dissolvent la confiance dans les institutions.

 

La démocratie libérale ne peut prospérer que dans un écosystème favorable fait de liberté mais aussi, nécessairement, de solidarité et de suffisamment d’égalité pour que l’aspiration à celle-ci n’apparaisse pas infondée, notamment lorsque les écarts de niveaux de vie ne sont pas perçus comme excessifs, que la classe moyenne est devenue prépondérante, que la mobilité sociale, c’est-à-dire la possibilité d’une ascension sociale,  est réelle et ressentie comme telle, pour permettre que chaque citoyen croie en une éthique et éprouve un sens concret du bien commun. La démocratie a besoin d’une émancipation de l’individu mais tout autant, et étymologiquement pourrait-on dire, d’un collectif solidaire conscient de lui-même et des nécessités du vivre-ensemble.

 

(Lazare Z / A SUIVRE)

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