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Philodynamie
7 août 2021

LAZARE EN POLITIQUE (12) : Le scenario populiste de l'autocratisation

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Ce nouveau message se lit dans le prolongement du précédent (11) qui présentait le rapport de mars 2021 de l’Institut V-Dem (V-Dem Institute) rattaché à l’université suédoise de Göteborg. Ce rapport sur l’état et l’évolution des régimes politiques dans le monde fait le constat d’un phénomène préoccupant : les régimes réellement démocratiques – les démocraties libérales - perdent du terrain au profit des régimes en autocratiques. Un phénomène qui deviendrait viral. En anglo-américain, cela donne l’intitulé du rapport : « Autocratization turns viral ».  

Au-delà de ce constat brut, le rapport met en évidence que, quel que soit le pays ou le continent, le scénario du processus d’autocratisation est, pour l’essentiel, semblable. 

En accédant au pouvoir, les aspirants autocrates s’attaquent aux media qu’ils cherchent à contrôler par les moyens les plus variés : contrôle de l’accès aux ressources publicitaires, prise de contrôle du capital par des financeurs « amis », contrôles fiscaux ou judiciaires dissuasifs et autres détournements de pouvoir qui épargnent le recours à des méthodes frustres de la censure. Ne subsistent que des media favorables et des media s’autocensurant par précaution. Si, malgré cela, il en reste d’indépendants du pouvoir, ils sont marginalisés.

Les autocrates cherchent aussi à restreindre ou même supprimer les libertés académiques. Plus largement, c’est toute forme d’opposition structurée qu’ils cherchent à éradiquer dans la société civile. Pour ce faire, ils s’efforcent d’imposer une polarisation radicale de la politique entre « Eux », les adversaires, les corrompus, les méprisants, et « Nous », le peuple vertueux. Le peuple et ses dirigeants contre le gouvernement des juges, contre ce qui peut rester d’autorités indépendantes supprimées ou noyautées, contre tous ceux qui se mettent en travers… Et pour cela, outre des media asservis, des réseaux sociaux sous contrôle, une pratique intensive de la désinformation, le débat rendu impossible.

A un certain stade du processus, les autocrates s’attaquent aux élections elles-mêmes qui sont perverties – élimination préventive d’oppositions, campagnes déséquilibrées et déloyales, fraudes - pour prévenir l’expression de toute opposition réelle et crédible – remplacée par des oppositions factices destinées à remplir l’espace soi-disant démocratique - à un niveau institutionnel.  

Selon le rapport de V-Dem, ce scenario a été suivi, avec quelques nuances, dans 8 des principaux cas d’autocratisation constatés au cours des 10 dernières années : Brésil, Bolivie, Hongrie, Inde, Pologne, Turquie, Benin et Serbie. 

Le rapport insiste sur le cas, qui serait le plus illustratif, de la Hongrie : détérioration de la liberté d’expression et répression de la société civile remontant à 2010 quand le gouvernement Orban et son parti FIDEZ ont fait adopter par le parlement hongrois plusieurs lois restreignant substantiellement la liberté des média, notamment par l’institution d’une autorité nationale conférant au gouvernement le contrôle des informations diffusées par les media, et des universités.

Ce phénomène d’autocratisation a été étudié, avant le rapport de V-Dem, par Pierre Rosanvallon dans son remarquable ouvrage : « Le siècle du populisme » (Le Seuil 2020). Rosanvallon n’emploie pas le néologisme d’autocratisation. Il utilise, pour évoquer le stade de la transformation de la démocratie libérale en démocratie illibérale le terme de démocrature :  un type de régime foncièrement illibéral – disons plus crûment antilibéral - conservant formellement les habits d’une démocratie mais sans la substance. Il évoque, dans une ambiance entretenue de polarisation et de radicalisation politiques, de complotisme, de diffusion massive de contrevérités, etc., deux cas de figure : celui de la justification démocratique des pratiques de plus en plus autoritaires ; celui du glissement progressif vers des régimes autoritaires au sein même d’un cadre institutionnel démocratique préexistant. En d’autres termes, comme le disait, je crois, Alexis de Tocqueville, avec ses mots du XIXème siècle : le despotisme s’élevant sur une base démocratique. Un despotisme que les autocrates voudraient irréversible. Ils - Orban, Poutine, Erdogan, Modi et consorts… - font tout pour.

La démocratie libérale est un régime politique vulnérable et instable. Nous avons constaté dans les messages précédents ses vulnérabilités. Mais, dans le fond, qu’est-ce qui vaut qu’on veuille la défendre, que l’on y tienne ? Ne serait-elle devenue qu’un luxe désuet ? Le baromètre de la confiance politique de mai 2021 révèle qu’en France 57% des enquêtés ont approuvé la proposition selon laquelle : « Il vaut mieux un système politique moins démocratique mais qui assure plus d’égalité et de justice sociale ». Un état d’esprit, pour ce que vaut un sondage, qui ne peut être accueilli qu’avec gourmandise par les tenants de l’autorité antilibérale. Cela mérite réflexion…   

(Lazare Z / A SUIVRE)

 

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