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Philodynamie
12 novembre 2021

LECTURE : "Being Mortal" Atul Gawande

 

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Comment nos contemporains vivent-ils la fin de leurs vies ? Nous sommes mortels, une évidence que d’aucuns veulent conjurer par la foi dans un au-delà, que d’autres espèrent dépasser par la recherche de l’immortalité biologique, mais c’est une autre histoire… « BEING MORTAL » (Profile Books 2014 publié dans une traduction en français « Nous sommes tous mortels » Fayard 2015, lu dans sa version en anglais par Lazare) est un livre sur l’expérience contemporaine de la mortalité, dans ses dimensions, personnelles et sociales en vue de mieux appréhender la situation de fin de vie et d’envisager sereinement les solutions pour l’affronter sans nier son inéluctabilité et ses contraintes, notamment d’ordre biologique.

Un sujet crucial mais difficile, « treacherous » écrit Atul Gawande. Une entreprise périlleuse sur un terrain miné. La mort est un sujet que l’on préfère éviter. Tant que l’on est vivant et pas trop amoché, il semble naturel de se tourner vers ce qui exprime, respire la vie, bouge comme le vivant, aspire aux plaisirs de la vie. La mort fait peur, le vieillissement consterne. Les gens préfèrent, et on les comprend, éviter le sujet de leur décrépitude.

Un sujet intemporel mais on ne peut plus actuel pour nos sociétés vieillissantes. Durant les six dernières décennies, nous avons gagné tant en Europe qu’aux Etats-Unis, selon les statistiques de l’ONU, une dizaine d’années d’espérance de vie à la naissance. Quant aux projections à l’horizon 2070, elles prédisent, quel que soit le continent, une augmentation inexorable de la part des plus de 65 ans dans la population mondiale. Cette part passerait entre 2020 et 2070 en Europe de 19,1% à 28,8%, en Asie de 8,9% à 22,8%, en Amérique du Nord de 16,8% à 25,8%, dans le monde de 9,3% à 18,9%.

Atul Gawande est un médecin américain, un chirurgien et non un gériatre, qui nous dit avoir été un temps désorienté par le vieillissement. Le vieillissement est porteur de troubles, oh combien ! mais si le médecin peut agir sur les troubles, dans une certaine mesure, par des prescriptions de médicaments ou une intervention chirurgicale, il n’est pas une maladie que l’on peut guérir. C’est son vécu personnel - la fin de vie de certains de ses proches - qui est à l’origine de sa réflexion. Il a enrichi ce vécu d’expériences qu’il est allé recueillir un peu partout aux Etats-Unis. Le livre conclut une enquête approfondie. Le propos n’est jamais abstrait. Gawande écrit à l’américaine : chaque thème abordé étant appuyé sur le récit d’une tranche de vie réelle. C’est parfois dur mais cela sonne vrai. Il nous parle du vieillissement, de la maladie, de la dépendance, de l’approche de la mort, et c’est passionnant.  

A un certain stade de vieillissement, variable selon les individus, « Things fall apart ». L’expression anglaise est tellement imaginée qu’elle est difficilement traduisible. Notre chère personne, corps et cerveau, se déglingue. La dentition, la vue, l’ouïe se dégradent, le dos fait mal, les muscles dépérissent et s’affaiblissement, la mémoire flanche, ça déconne de partout… Le cours de la dégénérescence est celui de tout système complexe : aléatoire, graduel...et inéluctable. Nous pouvons sans doute résister à la sénescence un peu et un temps, par une vie saine et l’activité physique notamment, et si nous avons la chance d’avoir les bonnes cartes biologiques et la chance tout court d’éviter l’accident, mais elle finit par l’emporter.  

Gawande ne se borne pas à décrire et expliquer les processus de sénescence et de perte d’autonomie. Il aborde son sujet méthodiquement, concrètement, dans tous ses aspects dont deux méritent que l’on en dise un peu plus : le traitement social de la dépendance du point de vue des proches d’une part, de la personne âgée concernée d’autre part ; la confrontation à la mort d’autre part.

La vieillesse est une suite de pertes et de renoncements, la perte progressive ou abrupte de son autonomie et le besoin d’assistance qui en constitue la contrepartie. Comment maintenir une certaine qualité de vie durant la fin de vie en dépit de l’isolement – les contemporains disparaissent un à un et l’on se sent de moins en moins en phase avec ce qui occupe les générations plus jeunes – et du rétrécissement de sa vie ? Ce n’est pas la mort que de très âgés ont confié à l’auteur craindre le plus, c’est ce qui leur arrive au dernier stade de vie. Gawande enquête sur les différents modes de gestion de la dépendance du placement en institution dans des établissements comparables à nos EHPAD où les personnes âgées sont médicalement suivies et en sûreté mais subissent l’ennui et la perte d’intérêt au maintien à domicile avec l’appui d’un service d’assistance qui préserve une certaine liberté et des perspectives. A cet égard l’analyse est fine et illustrée.

A la fin, il faut bien mourir. L’auteur nous confronte enfin à l’ultime étape « terminal condition ». Autrefois, mourir survenait généralement assez rapidement ; de nos jours, la mort vient le plus souvent après une longue lutte médicale, ce qui laisse du temps pour y penser, s’angoisser et s’y confronter. C’est sans doute là que l’intérêt du livre culmine. Si vous êtes à l’article de la mort, que voudriez-vous que vous dise le médecin ? Vous rassurer, vous dire la vérité ? Gawande évoque ce qu’il appelle de « hard conversations » entre le mourant et le médecin alors même que celui-ci n’a pas toujours une connaissance sûre de l’évolution de l’affection. Il s’intéresse aux préoccupations majeures des mourants : éviter la souffrance, rester conscient, renforcer les relations avec les proches, famille et amis. Il évoque le « dying role » que l’on peut vouloir jouer avec eux avant de passer. Il nous parle du courage que requiert le stade terminal. Tout cela en l’illustrant de récits de fins réelles. Un livre qui n’est pas seulement passionnant, un livre utile.

Lazare Z

 

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