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Philodynamie
20 mai 2023

La NOUVELLE-CALEDONIE 25 ANS APRES L'ACCORD DE NOUMEA : 2) "Ce territoire n'était pas vide..."

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Le document connu sous le nom d’Accord de Nouméa, signé le 5 mai 1998 par les indépendantistes du FNLKS, les non indépendantistes du RPCR et les représentants du Gouvernement de la République, est un texte remarquable à bien des égards, et tout d’abord par la qualité et la puissance de sa rédaction. Il s’ouvre par un Préambule dont il m’importe de citer d’emblée le début.

« 1 – Lorsque la France prend possession de la Grande Terre, que James Cook avait dénommée "Nouvelle-Calédonie", le 24 septembre 1853, elle s'approprie un territoire selon les conditions du droit international alors reconnu par les nations d'Europe et d'Amérique, elle n'établit pas des relations de droit avec la population autochtone. Les traités passés, au cours de l'année 1854 et les années suivantes, avec les autorités coutumières, ne constituent pas des accords équilibrés mais, de fait, des actes unilatéraux.

« Or, ce Territoire n'était pas vide.

« La Grande Terre et les Iles étaient habitées par des hommes et des femmes qui ont été dénommés Kanak. Ils avaient développé une civilisation propre, avec ses traditions, ses langues, la coutume qui organisait le champ social et politique. Leur culture et leur imaginaire s'exprimaient dans diverses formes de création ».

Depuis 4 000 ans, cette population mélanésienne vivait en Nouvelle-Calédonie en petites communautés parlant des langages différends. Lorsque la France a pris possession de l’archipel, elle comptait environ 50 000 personnes.

Le peuplement européen de l’archipel résulte tout d’abord de la politique pénitentiaire de la France. Un premier convoi de condamnés aux travaux forcés est arrivé en Nouvelle-Calédonie en 1864. En sus des condamnés de droit commun, des « politiques » y ont été déportées ultérieurement : des communards après l’écrasement de la Commune de Paris, des algériens combattant la colonisation de l’Algérie. Des colons libres se sont également installés en Nouvelle-Calédonie pour y cultiver la terre ou saisir les opportunités nées de l’exploitation du minerai de nickel. A la fin du 19ème siècle, la Nouvelle-Calédonie comptait environ 20 000 habitants d’origine européenne, près de la moitié étant des forçats.

Les spoliations de terres kanak ancestrales au profit des colons ont suscité des révoltes, en particulier en 1878, qui n’aboutirent qu’à de nouvelles dépossessions. Là-bas, comme dans d’autres colonies, les autochtones ont été soumis au code de l’indigénat, traduction juridique d’une relation de dominants à dominés, qui n’a été aboli qu’en 1946. Telles furent les « ombres de la période coloniale même si elle ne fut pas dépourvue de lumière » selon les mots du Préambule de l’Accord de Nouméa.

Dans les années d’après-guerre, les Kanak, devenus citoyens de la République, ont commencé à participer à la vie politique, notamment dans l’Union Calédonienne (UC) qui comptait aussi des calédoniens d’origine européenne, broussards blancs et chrétiens progressistes, et dont le projet était de promouvoir la population Kanak et la justice sociale avec un slogan : « Deux couleurs, un seul peuple ». L’UC, devenue le premier parti de Nouvelle-Calédonie, a conquis en 1956 la majorité au conseil général du Territoire et son représentant, Maurice Lenormand, le siège de député.

Ce nouveau départ était encourageant mais la communauté européenne s’est crispée, effrayée par les nouvelles provenant d’Algérie. Elle s’est largement mobilisée autour du Rassemblement calédonien, devenu plus tard le Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR). Dans les années 1970, des vagues d’immigration en provenance de métropole, de Wallis et Futuna, des Nouvelles Hébrides et de Polynésie française, liées à l’essor de l’exploitation du nickel, ont eu pour conséquence de rendre les Kanak minoritaires dans leur archipel. L’onde de choc de cette évolution démographique, renforcée par l’écho de l’accès à l’indépendance des archipels voisins, - la Papouasie-Nouvelle-Guinée en 1975, les Iles Salomon en 1978 et les Nouvelles-Hébrides devenues le Vanuatu en 1980 – et la perception de la politique du gouvernement comme néo-colonialiste ont fait prospérer une revendication indépendantiste conduisant à la création du FNLKS (Front de libération nationale Kanak et socialiste. Le schéma politique calédonien de base s’est alors constitué : indépendantistes en grande majorité autochtones et loyalistes venus d’ailleurs.

Au cours des années 1980 la situation politique s’est tendue puis a dégénéré malgré une tentative d’apaisement en 1984, connue sous le nom de table ronde de Nainville-les Roches. Un scrutin d’autodétermination, tenu en 1987 alors que les anti-indépendantistes profitaient de leur influence auprès du gouvernement de Jacques Chirac, a été boycotté par les indépendantistes.  Les affrontements violents entre les deux compas antagonistes, « les Evènements » selon l’euphémisme alors en usage, en réalité une quasi guerre civile, ont fait durant cette période 73 morts et provoqué le déplacement de 1 200 personnes. Toutes proportions gardées, cela aurait représenté, en rapportant ces nombres à la population française, 26 000 morts et 400 000 personnes déplacées !

Après la tragédie de la grotte d’Ouvéa, le dialogue entre les forces politiques en présence a heureusement repris sous l’égide du gouvernement de Michel Rocard. La nouvelle politique d’apaisement s’est traduite par les accords de Matignon en 1988, symbolisée par la célèbre poignée de mains de Jacques Lafleur, chef de file des anti-indépendantistes, et de Jean-Marie Tjibaou, celui des indépendantistes. Elle a été poursuivie, confirmée et amplifiée par l’Accord de Nouméa en 1998.

Le contenu de cet Accord sera évoqué plus longuement dans un prochain billet. Je me bornerai ici à dire qu’il établissait pour la Nouvelle-Calédonie un statut d’autonomie exceptionnel dans la République, un statut qui favorisait, notamment grâce à un intelligent découpage territorial de l’archipel et un dispositif imposant un gouvernement local de coalition, un partage du pouvoir entre les camps opposés, qui se trouvaient ainsi incités sinon même contraints de cogérer une Nouvelle-Calédonie autonome. Surtout, il donnait à tout le monde du temps, une période de 20 années, pour réunir une population divisée dans la perspective d’un destin commun et préparer un scrutin d’autodétermination qui serait non pas, comme en 1987 un scrutin-couperet, mais, dans l’idéal, comme en 1998, un scrutin approuvant une solution institutionnelle de nature à rassembler et non à déchirer la population complexe de Nouvelle-Calédonie.

Car le problème majeur était il y a 25 ans, et demeure, la division d’une population extraordinairement complexe. En Nouvelle-Calédonie, contrairement à la France des départements, les recensements font apparaître l’origine ethnique. Voici les résultats de celui de 2019 : une population totale de 271 407 habitants dont les Kanak représentaient 41,2 % (111 856 ha), la population d’origine européenne 24,1% (65 488 ha), les populations originaires de Wallis et Futuna 8,3 % (22 520 ha), d’Asie 2,6%, de Polynésie française 2 %, du Vanuatu 0,9 %, enfin ceux qui se sont déclarés métis 11,3 %, « Autres et non déclarés » un peu moins de 10%.

Tisser les liens d’une communauté de destin était la grande ambition de l’Accord de Nouméa.

Lazare Z (A suivre)

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