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Philodynamie
1 septembre 2023

QU'EST-CE QUI FAIT ART ? 9) La création ?

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J’ai fait observer dans le billet précédent faisant appel à ChatGPT la retenue de l’intelligence artificielle générative dans son abord de l’art. L’algorithme ne se mouille pas : l’art serait, selon lui, « une forme expression créatrice qui reflète les idées, les émotions et les perceptions d’une personne ou d’un groupe de personnes avec l’intention de stimuler les sens et l’imagination du spectateur ou de l’auditeur ».

 

Poussant un peu le Chatbot GPT ! 🤖, je lui ai demandé ce qu’il entendait par création artistique. Sa réponse est de même farine que la précédente :

 

« Pour moi, la création artistique est un processus par lequel un individu exprime sa vision, ses émotions et ses idées à travers divers médiums tels que la peinture, la sculpture, la musique, la danse, la littérature, etc. C'est une forme d'expression personnelle qui permet à l'artiste de communiquer avec le monde et de partager son point de vue unique. La création artistique peut être inspirée par de nombreuses sources, qu'il s'agisse de la nature, de l'histoire, de la société ou même des expériences personnelles de l'artiste. C'est un moyen puissant de susciter des émotions, de provoquer la réflexion et de stimuler l'imagination ».

 

Admettons. Pourrait-il cependant nous en dire un peu plus sur le processus de création ? Poursuivant l’expérience, je lui ai demandé s’il se considérait comme un créateur artistique. Il m’a répondu : « En tant qu'IA, je ne peux pas me considérer comme un créateur artistique au sens traditionnel du terme. Je suis un programme informatique conçu pour fournir des réponses et des informations basées sur l'apprentissage automatique. Mon objectif principal est d'aider les utilisateurs en répondant à leurs questions et en fournissant des conseils. Cependant, je peux certainement vous aider à explorer et à comprendre le monde de la création artistique en vous fournissant des informations sur différents sujets artistiques et en répondant à vos questions ». Au moins est-ce clair. Jusqu’à présent, le processus de la création échappe à l’intelligence artificielle.

 

Me tournant vers des sources d’information plus traditionnelles, je suis tombé récemment, dans ma médiathèque préférée, sur un ouvrage dont le titre m’a tenté : « Enquête sur les secrets des créateurs » d’Hubert Ripoll (Payot & Rivages 2015).

 

L’auteur est psychologue, professeur émérite à l’université d’Aix-Marseille. Il a mené une enquête pour essayer de répondre à la question : comment devient-on créateur et pourquoi le reste-t-on ?  A cet effet, il a conduit une série d’entretiens avec un large panel de créateurs socialement reconnus comme tels par leurs pairs dans divers domaines : des artistes bien sûr (Daniel Buren, Enki Bilal, Maxime Le Forestier, Angelin Prejlocaj, Jean-Paul Goude, Didier Lockwood, Fabienne Verdier), des réalisateurs de cinéma (Bertrand Blier, Robert Guédiguian), un écrivain (Patrick Chamoiseau) ainsi que des scientifiques (le biologiste Henri Atlan, le paléoanthropologue Michel Brunet, le chimiste et lauréat du prix Nobel Yves Chauvin, le mathématicien Etienne Ghys, le physicien et lauréat du prix Nobel Albert Fert), un cuisinier (Gérald Passédat), une créatrice de mode (Chantal Thomass) et d’autres. La méthode d’enquête accorde autant d’importance à la dimension affective et sociale qu’aux opérations impliquées dans l’acte de création.

 

Hubert Ripoll s’est tout d’abord intéressé au moteur de la création. Qu’est-ce qui pousse à créer ? Il a trouvé à l’origine un choc émotionnel, survenu le plus souvent dans l’enfance. L’émotion créatrice primitive a suscité, par exemple, un goût pour la narration chez Chamoiseau. Cette émotion primitive n’est toutefois pas suffisante. Il faut la conforter. Le regard bienveillant d’un membre de la famille ou de l’entourage compte. Même encouragée, elle ne conduit pas immédiatement à la création. La dynamique de création passe par une étape de construction. Le créateur en puissance va devoir trouver les ressources de nature à alimenter la flamme de sa création. C’est notamment le cas lorsqu’il fait une rencontre décisive avec une œuvre ou un créateur, une rencontre qui engage le processus dans une direction rationnelle, fixant à la fois le but (« voilà ce que je veux faire ! ») et la projection identitaire (« voilà ce que je veux faire et donc ce que je veux être ! »).

 

Une fois lancée, la dynamique de création semble ne plus connaître de répit. Les grands créateurs créent jusqu’à leur dernier souffle. Selon Otto Rank, dans « L’Art et l’Artiste » (Payot 1930), « … tout ce que l’artiste accomplit grâce à la réussite de son œuvre est, en fait, immortalité (…) en ce sens, le sentiment d’immortalité n’est pas seulement le résultat de la création mais, vraiment, le préalable sur lequel elle repose (…) Pour dire les choses avec plus de précision, je vois la tendance créatrice comme l’instinct de vie mise au service de la volonté individuelle ». L’artiste aurait ainsi le pouvoir de surmonter l’angoisse de la vie dans sa création et, par peur de la mort, serait conduit à rechercher l’immortalité.

 

Hubert Ripoll ne partage pas vraiment ce point de vue. Il y voit davantage la volonté de faire persister socialement l’œuvre, rejoignant ainsi l’analyse de Richard Dawkins dans « Le Gène égoïste » (Odile Jacob 2013), pour lequel « toute l’intelligence, toute la créativité et toute la conception, partout dans l’univers, sont le produit direct ou indirect d’un processus cumulé équivalent à la sélection naturelle darwinienne ». La création est vue comme un processus cumulatif. Hubert Ripoll émet l’hypothèse « que l’acte de création a pour fonction de reproduire l’équilibre associé à l’émotion créatrice, que le créateur s’efforce de reproduire jusqu’à son dernier souffle ». Tout se passe, écrit-il, comme « si le fonctionnement du psychisme reposait sur un processus en boucle dans lequel la création se nourrirait de sa propre activité, engageant un processus cyclique qui s’autoalimente en continu, par nécessité autant que par plaisir. Ainsi, la création est source de plaisir et l’œuvre source accomplie, source de récompense. Un circuit durablement inscrit dans le psychisme, correspondant à un besoin à satisfaire et jouant un rôle activateur de la démarche créatrice ». L’acte créateur, ajoute-t-il, « tient finalement à peu de chose : une émotion créatrice qui, telle une révélation, entre en écho avec une histoire singulière. La recherche de l’équilibre éprouvé lors de cette première fois. Le plaisir ressenti à l’atteindre comme source de récompense. Celle-ci à son tour objet de recherche. Des objectifs jamais tout à fait atteints sur lesquels l’ouvrage est sans cesse remis, entretenu par le désir d’avancer encore et toujours, jusqu’au dernier souffle ».

 

L’enquête met en lumière d’autres aspects complémentaires. La créativité est liée à la prise de risques qu’induit l’innovation. La capacité à se mettre en danger est l’une des qualités majeures du créateur. « Je devais le faire » est sa mantra. Difficulté et douleur de la construction, plaisir de son achèvement. Tout créateur rêve d’être un mutant. Toutefois transgresser par pure volonté de subversion devient un exercice formel.

 

Il faut au créateur endurer pour durer. Le « dur désir de durer » disait Paul Eluard. La persévérance intervient à la fois pour créer – un processus qu’il faut avoir la patience de faire grandir – et pour faire accepter son œuvre dont le statut de création ne résulte que de la reconnaissance sociale. Or, plus une œuvre est transgressive, plus elle produit de rejet. Au moins au début. La confiance en soi est liée à la créativité, associée à l’acceptation de soi. Elle permet l’indépendance de jugement et la prise de risques sans exclure le doute.

 

On observera que cette enquête méthodique ne fait aucunement recours aux notions accoutumées en la matière d’un talent inné ou d’une inspiration d’on ne sait quelle origine. Le talent, ça s’apprend. C’est du moins ce que nous assure la chercheuse en neurosciences Samah Karaki (« Le talent est une fiction » éd. Lattès). Une étude très récente de l’Institut du cerveau rapportée par le journal Le Monde daté du 30 août 2023 montre que le processus créatif est le résultat de mécanismes complexes faisant intervenir des réseaux cérébraux distincts selon que l’on donne de l’importance à l’originalité ou à la pertinence. L’étude souligne l’importance de la motivation dans le processus créatif et aussi la part des mécanismes inconscients. Ce dernier trait disqualifiant, semble-t-il, l’intelligence artificielle dans la mise en œuvre d’un processus créatif.

 

J’observe que les résultats de l’enquête d’Hubert Ripoll semblent donner raison à l’intuition de Bergson pour lequel la création est le propre de l’élan vital.

 

Lazare Z (A suivre)

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