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Philodynamie
11 mars 2023

QU'EST-CE QUI FAIT ART ? 5) Les musées ?

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20230109_105725(1)Ah les musées ! C’est l’évidence : l’exposition d’une œuvre en tant qu’œuvre d’art suffit à sa qualification : elle est art. L’autorité institutionnelle en la matière s’est prononcée.  

 

Qu’en dit le public ? Le plus souvent, à tous le moins bien souvent, il vient « faire » un musée, fréquemment à l’occasion d’une exposition temporaire qu’il faut voir. Le public pratique une forme de tourisme en consommant les biens et services culturels proposés. Devant les œuvres célèbres ou mises en valeur par les organisateurs et autres sachants, dûment signalées par les journalistes spécialisés, il y a foule qui défile en troupeaux par contingents horaires, s’agglutine, s’encombre, se bouscule et s’efforce de braquer les smartphones, comme si rien d’autre n’importait que de capturer l’œuvre en la pixélisant. La voir pour de vrai, de tous ses yeux, de tous les sens de son corps, on ne peut pas : trop de monde, il fait trop chaud…. Et puis est-ce vraiment utile pour en causer en société ? Enfin, au bout du cheminement obligé, sorte de parcours IKEA à la sauce musée, fatigué mais bien content d’y être parvenu, il ne reste au visiteur qu’à se rendre à la cafétéria ou à la boutique de produits dérivés.

 

Dans une pièce de théâtre ‘Musée haut, musée bas’ créée en 2004 par Jean-Michel Ribes au théâtre du Rond-Point à Paris et portée par le même au cinéma en 2008, on y suit le parcours chaotique et hilarant de visiteurs, dont les personnages joués par Michel Blanc et Victoria Abril, passant d’une salle à l’autre d’un musée imaginaire mais combien réaliste, au rythme de leurs réactions face aux œuvres comme de leurs préoccupations les plus prosaïques. Avec ‘La’ question en point d’orgue : et l’art dans tout ça ?  

 

L’important toutefois est que le musée, qu’il soit public ou d’initiative privée, donne au public accès à l’art…ou à ce qui passe pour tel (avec la caution muséale). On peut le louer ou critiquer lorsqu’il monte une exposition qui fait le buzz comme lorsqu’il montre, avec le souci de ne rien manquer de ce qui fait l’actualité de son domaine, d’étonnantes œuvres d’artistes vivants. Le musée met à la disposition du public tant l’art du passé qu’il ‘conserve’ que l’art contemporain qu’il promeut.

 

Et même, l’extrême pointe du contemporain comme en atteste les acquisitions de NFT (Non-Fungible Tokens ou Jetons non fongibles en français, déjà évoqués dans le billet précédent de cette série) que le Centre Pompidou s’apprête, selon la presse, à faire. Ces œuvres traitant des relations entre la blockchain et la création artistique sont destinées à étoffer sa collection nouveaux médias qu’utilisent des mouvements artistiques tels que crypto art, net art, art génératif, pixel art... Selon la terminologie de l’institution reprise dans le journal Le Monde du 16 février 2023, il s’agirait « d’explorer les usages créatifs les plus audacieux des technologies émergentes, engageant une réflexion singulière sur l’écosystème de la crypto-économie et ses incidences sur les définitions et contours de l’œuvre d’art, de l’auteur, de la collection et du public ». Il faut saluer l’ambition. Le musée est dans son rôle de centre d’art contemporain en mettant de telles œuvres à disposition du public au prix ou au risque de susciter ou d’entretenir une certaine confusion dans les esprits.

 

Le visiteur de la Collection Lambert, un autre centre d’art contemporain situé à Avignon, emprunte en arrivant un « sas de contamination ». Contamination à l’art, bien sûr ! L’idée est intéressante ; elle a été mise en œuvre par l’artiste plasticien Thomas Hirchhorn, lauréat du prix Marcel Duchamp en 2000. Le jury lui a reconnu des qualités d’originalité et d’inventivité remarquables. Son sas de contamination est constitué d’un couloir sinueux tracé dans un bric-à-brac hétéroclite de photos, de chaînes, de toiles peintes, des reproductions de tableaux de Modigliani et de Chagall, des sculptures, tapisseries, vidéos et d’objets divers dont la description met au défi la pauvreté de mon langage. Le sas est autant une œuvre – d’art ? – qu’une sorte de parcours initiatique censé éveiller la curiosité du visiteur et de susciter chez elle ou lui une envie d’art contemporain. Bref d’être contaminé(e) par le virus de l’art… Bof ! Si l’on se réfère à la brochure remise à l’entrée par le musée « l’installation de Thomas Hirschhorn brouille la frontière entre l’art et la réalité. C’est parce que le travail de l’artiste fait écho à la démarche de notre musée qu’il a été décidé… ». En toute logique, pour brouiller la frontière entre l’art et la réalité, ne faudrait-il pas délimiter d’abord, au moins sommairement comme sur les cartes anciennes, un territoire de l’art en disant ce pourquoi il y a un dedans et un dehors ? On tourne en rond.

 

« A mesure que l’art s’enfonce dans l’impasse, les artistes se multiplient. Cette anomalie cesse d’en être une, si l’on songe que l’art, en voie d’épuisement, est devenu à la fois impossible et facile ». C’est du Cioran. Exagéré ?

 

Pour ne pas en rester à cette touche quelque peu déprimante, je suggère la lecture du petit livre de Léonor de Récondo : « La leçon de ténèbres ». L’écrivaine et violoniste s’est pliée à l’exercice de passer toute une nuit, seule, dans un musée. Et d’en rendre compte dans un livre publié dans la collection ‘Ma nuit au musée’ (Stock 2020). C’est le Museo del Greco, à Tolède, qu’elle a choisi.

 

Toute une nuit, cela permet, comme elle l’écrit, de « fouiller les tableaux en prenant son temps, à sa guise, à son rythme » d’explorer les plissés, de scruter les mains. Son regard est éduqué. Enfant, ses parents l’ont trainée dans les musées. Parfois, ajoute-t-elle, à cette époque, une toile « lui claquait au visage, la laissant sans voix ». Son appréhension de l’art est résumée dans ces mots : elle est dans l’émotion mais aussi, en même temps, dans quelque chose de construit. Elle est sensible à la grâce des ciels peints par Doménikos Théotokopoulos, dit El Greco, aux visages allongés, à son art du portrait quand il saisit l’abandon de celui qui se livre à lui par inadvertance. « L’heureux hasard de la bête qui oublie un instant qu’elle est épiée ». Elle capte la manière d’El Greco qu’elle rapproche de celle, bien postérieure, de Goya. Un peu comme Jean-Claude Carrière dans son documentaire A l’ombre de Goya lorsqu’il se plante devant les deux Majas, la desnuda y la vestida, fasciné, ensorcelé par leurs regards.

 

Léonor de Récondo ne nous dit pas explicitement ce qui fait art pour elle, mais elle nous ramène en terrain familier : l’émotion, l’alchimie complexe de la sensibilité et de l’esprit, et le travail de l’artiste. Sans exagérer l’importance de la langue, notons que le mot ‘œuvre’ vient du latin ‘opera’ que l’on retrouve aussi dans ‘ouvrage’, ‘ouvrer’ et ‘ouvrier’. Quant au mot ‘art’, il vient du latin ‘ars’ qui a donné aussi ‘artisan’ (et ‘artifice’). Rien de neuf sans doute, sinon un discret rappel pour ne pas désespérer de l’épuisement de l’art évoqué par Cioran. Mais il faut aller plus loin et approfondir.   

 

Lazare Z (A suivre)

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