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Philodynamie
31 octobre 2020

LAZARE EN POLITIQUE (1) Démocratie: un jeu de dupes?

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Georges Frêche, à la fin de la première décennie du XXIème siècle, alors qu’il était président du conseil régional de Languedoc-Roussillon, ne s’est pas embarrassé de nuances devant un public d’étudiants : « J’ai toujours été élu par une majorité de cons ». Comme une évidence.

Les propos hilarants de cet homme politique décédé en octobre 2010 sont disponibles sur You Tube (cf. le lien ci-dessous pour voir et écouter en « live » : 5 minutes et 48 secondes de rire franc et/ou jaune).

https://www.youtube.com/watch?v=t55CC7U82nc

Georges Frêche n’était pas n’importe qui. Ce n’était pas un nouveau venu, un perdreau de l’année mais un politicien aguerri passablement représentatif, par son itinéraire, de l’homme politique français de la fin du XXème siècle et du début du XXIème siècle. C’était un homme instruit. Selon sa notice Wikipédia, il avait fait de solides études. Agrégé des facultés de droit, il avait été professeur des universités. Quant à son parcours politique, il est conséquent. Député de l’Hérault durant plusieurs législatures, maire d’une grande ville (Montpellier) de 1977 à 2004, il était devenu président d’un conseil régional en 2004 et avait été réélu à cette fonction, peu de temps avant sa mort, en mars 2010. Bref, un grand notable qui connaissait tout de l’intérieur, tant des campagnes électorales que du fonctionnement de la démocratie à l’échelon national comme aux divers échelons locaux. On peut être certain d’une chose, il savait de quoi il parlait.

Il est vrai que ce personnage haut en couleur était coutumier du politiquement incorrect. You Tube propose d’autres vidéos qui en attestent, notamment celles afférentes à des propos qu’il a tenus à l’égard de Laurent Fabius et des Harkis. Il est aussi manifeste qu’il aimait faire rire et qu’il en avait le talent. Si l’on se laisse entraîner par sa faconde, on ne peut que rire. Stand up !

Une fois que l’on a bien ri, fait la part de la provocation, des trucs de l’acteur politique sur scène, on peut aussi se dire qu’il y a matière à réfléchir un peu. Il n’est alors pas inutile de l’écouter une deuxième fois, peut-être même une troisième. Derrière le trait comique, n’y aurait-il pas comme un zeste de désespoir en équilibre instable sur la tranche de sincérité d’un homme politique revenu de tout ? en d’autres termes, et révérence gardée pour sa mémoire, était-il abruptement cynique ou n’était-ce pas une manière de laisser apparaître une forme de lucidité désabusée, en la noyant dans le rire pour être compris par ce public de jeunes qu’il fallait instruire de la réalité la plus crue ?

Lui seul aurait pu répondre à cette interrogation, encore qu’il l’aurait sans doute fait en s’en tirant par une de ces pirouettes qu’il affectionnait. Il nous reste loisible de tirer précautionneusement le fil dont il nous a tendu un bout pour voir jusqu’où cela nous conduit.

A une autre occasion, mais traitant du même sujet, Georges Frêche avait déclaré : « Dans ma carrière, j’ai fait trois campagnes intelligentes où je parlais aux gens d’emploi, d’économie, d’investissements, et je les ai perdues. Et j’ai fait vingt-sept campagnes rigolotes à raconter des blagues de cul, et je les ai toutes gagnées » (voir la notice Wikipedia déjà citée). Dans la vidéo de cinq minutes, mentionnée plus haut, il a résumé son opinion sur l’élection : « c’est un jeu ». Il parlait là de l’acte fondamental du fonctionnement d’une démocratie représentative. Pour gagner, il faut jouer en acteur consommé. Ce n’est pas si nouveau. On sait que des acteurs de métier ont excellemment réussi en politique, par exemple : Ronald Reagan, un président de l’Ukraine et Beppe Grillo en Italie. D’autres hommes ou femmes politiques, bien qu’ils n’eussent pas fait profession d’acteurs, ont été ou sont des acteurs nés. D’un homme ou femme politique qui ne sait pas faire l’acteur, on dit qu’il ou elle manque de charisme, qu’il ou elle est terne, coupé(e) des réalités, confiné(e) dans une vision technocratique, etc. Ce n’est pas bon pour lui ou elle.

Durer, faire carrière en démocratie représentative, exige de jouer le jeu de la campagne électorale permanente.

Georges Frêche a donné un mode d’emploi pour un mandat de six ans de chef de file d’une majorité au conseil régional. Les deux premières années sont les années utiles : on mène la politique que l’on croit bonne (accessoirement celle pour laquelle on a été élu). Les deux années suivantes, on se calme, « on laisse reposer le flan ». Les deux dernières années, on fait campagne en racontant aux gens – ses chers électeurs – ce qu’ils ont envie d’entendre, en parlant à leurs tripes, surtout pas à leurs têtes, en se mettant à leur portée. A la portée des « cons ».

Là, le bât blesse un peu.  

Ainsi, pour prétendre représenter ses concitoyens, agir en leur nom, il faudrait en passer nécessairement par faire l’acteur politique, jouer un rôle. Et mentir autant que nécessaire pour manipuler son public/électorat. Cela pose crûment la question du rapport de confiance/défiance entre élus et citoyens, entre le « peuple » et ses élus/élites politiques. Le « peuple » aime-t-il à ce point se faire abuser ? Le jeu démocratique n’est-il que séduction ? La bonne foi est-elle hors-jeu ? Qui est responsable au fond : celui qui, voulant être élu, emploie des moyens efficaces – joue le jeu - ou ses électeurs qui se prêtent au jeu ?

Lazare Z

(A SUIVRE…)

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  • Un blog qui aborde divers sujets – en vrac : sciences, philosophie, politique, art, société, histoire, etc. - pour s’orienter dans notre monde pressé et compliqué, avec l’intention de conduire la réflexion dans une pratique d’enquête au sens pragmatique, d’appréhender la philosophie comme une activité (d’où l’appellation « Philodynamie »), sans prétention ni esprit de système.
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