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Philodynamie
2 décembre 2022

LECTURE : "SENTIR ET SAVOIR" Antonio Damasio

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Il y a bien longtemps, intrigué par la philosophie et devenu pour un temps son étudiant, je me suis heurté à la vision binaire du Maître vénéré : René Descartes. Son système sépare et oppose, pour le dire vite, l’esprit au corps, l’animal conçu comme une machine dépourvue d’esprit à l’Homme doté d’un esprit, réplique de l’âme immatérielle dans la religion de mon enfance. Les aléas et contraintes de la vie m’ont ensuite éloigné des spéculations philosophiques et m’ont ailleurs conduit … jusqu’à ce que j’y revienne, au bénéfice de l’âge et des loisirs qui lui sont, sous nos latitudes jusqu’ici tempérées, attachés.

C’est avec intérêt, et une forme de soulagement, que j’ai lu « SENTIR ET SAVOIR une nouvelle théorie de la conscience », en anglais “Feeling & Knowing, Making Minds Conscious”, d’Antonio Damasio (éd. Odile Jacob 2021), un ouvrage passionnant de 218 pages seulement. Ce qui tend à montrer qu’il n’est pas nécessaire de bavarder, encore moins de jargonner – l’écriture est limpide, le propos intelligible pour le péquin – pour nous emmener au plus pointu de la science du XXIème siècle et de la réflexion sur les notions complexes de sensible, esprit, conscience, connaissance. Je rejoins ici Bergson pour lequel : « il n’y a pas d’idée philosophique si profonde et si subtile soit-elle, qui ne puisse s’exprimer dans la langue de tout le monde » (Mélanges).

Antonio Damasio est un savant, un chercheur contemporain. Il est professeur de neurosciences, de neurologie, de psychologie et de philosophie à l’université de Californie du Sud à Los Angeles. Il dirige, au sein de cette université, le « Brain and Creativity Institute » (littéralement « l’Institut du Cerveau et de la Créativité »). « SENTIR ET SAVOIR » s’inscrit dans le champ interdisciplinaire des travaux d’un scientifique en même temps que philosophe.   Antonio Damasio réalise ce qu’Edgar Morin - « Penser global » (éd. Robert Laffont 2015) - appelle de ses vœux : relier les savoirs, ici la biologie, plus particulièrement les neurosciences cognitives, d’une part, les sciences humaines, plus particulièrement la psychologie et la philosophie, d’autre part.

Si « SENTIR ET SAVOIR » est un ouvrage relativement court, il est aussi très dense. Il n’est pas aisé d’en rendre compte en quelques lignes. Le commentateur craint soit d’en perdre trop de substance, soit de produire un commentaire d’une densité au carré. Essayons néanmoins car cela en vaut la peine.

Le thème du livre d’Antonio Damasio est celui de la conscience. Mais, nous prévient-il dès le début, il est impossible d’en expliquer la nature sans traiter plusieurs questions relatives, notamment, aux différents types d’intelligence, à l’esprit ainsi qu’à la capacité à ressentir. Par quels mécanismes fonctionnels éprouvons-nous dans l’esprit un processus qui a lieu dans la dimension physique du corps ? Ce n’est qu’ensuite que l’on peut aborder sérieusement la question de savoir comment le cerveau nous fournit des expériences mentales que nous associons systématiquement à nous-mêmes.  

Au commencement, il y a 4 milliards d’années, n’était pas le verbe mais le sentir. Tous les êtres vivants, des bactéries unicellulaires aux humains en passant par les végétaux, jouissent de la capacité de sentir c’est-à-dire de détecter la présence d’un autre organisme, d’une molécule à la surface d’un autre organisme ou sécrétée par lui, et de réagir aux stimuli sensoriels (lumière, froid, vibrations, chocs…). Sentir est la forme la plus élémentaire de la cognition. Tous les organismes vivants, même les plus insignifiants et les plus primitifs, sont capables de répondre intelligemment. L’intelligence est conçue comme la capacité de résoudre les problèmes que pose le maintien en vie. Antonio Damasio distingue à cet égard « l’intelligence non explicite » d’organismes comme les bactéries ou les végétaux, qui est une intelligence cachée, qui fonctionne sur la base de calculs bioélectriques sans esprit, de « l’intelligence explicite » qui est manifeste et requiert un esprit. L’humain bénéficie des deux sortes d’intelligence.

L’auteur est attentif à la pédagogie. Il s’efforce de faire comprendre à son lecteur profane les concepts fondamentaux qu’il utilise : outre ceux de sentir et d’intelligence, ceux d’esprit, de sentiment et de conscience. Des concepts culturellement très chargés et difficiles, qu’il reprend en se fondant sur le dernier état de la science et qu’il développe dans une vision globale faisant leur part aux sciences humaines.

Quelques mots sur ces concepts. Selon Antonio Damasio, le facteur déterminant de la création de l’esprit dont sont pourvus des organismes apparus tardivement dans l’évolution du vivant est d’être dotés d’un système nerveux mais ce facteur ne rend pas compte, à lui seul, de l’esprit. L’esprit est constitué d’un flux quasi-continu d’images. La perception des objets et des actions dans le monde extérieur à nous-même (vue, ouïe, toucher, odorat, goût) se transforme en images. Les images – modèles, schémas, « patterns » - sont le produit d’une activité neuronale. Certaines images, auxquelles on ne pense pas spontanément, jouent un rôle important : des images de l’intérieur du corps. L’auteur insiste sur l’apport de l’intéroception, un processus qui ouvre notre monde intérieur (viscères, cœur, respiration, etc.) à l’inspection sensorielle et finalement mentale. De ce processus émergent les sentiments.

Le concept de « sentiment » chez Damasio est crucial. Il estime, en somme, que l’attention s’est trop focalisée sur le cerveau cognitif au détriment de tout le système biologique. L’intérieur de l’organisme abrite une activité chimique spontanée dont le but est de réguler le vivant en accord avec les exigences homéostatiques. Rappelons à ce stade que l’homéostasie est un processus qui maintient les paramètres physiologiques d’un organisme vivant : température, pH, niveaux de nutriments, fonctionnement des viscères. Les actions émotionnelles (contraction des muscles lisses, changements du rythme cardiaque, respiration, sécrétion hormonales, posture) visent en général à soutenir l’homéostasie. Les sentiments reflètent un processus de régulation chimique. Ils témoignent d’une coopération intense entre les régions du corps et les éléments neuronaux, d’un dialogue entre la chimie corporelle et l’activité bioélectrique des neurones. Le système nerveux est à l’intérieur d’un corps. Le corps et le système nerveux interagissent directement. Les sentiments primordiaux qui sont issus de ces interactions ont ouvert la voie aux sentiments complexes qu’éprouvent les humains. Ceux-ci, qui peuvent être primaires (faim, soif, douleur, plaisir) ou provoqués par des émotions (peur, colère), sont des expériences mentales qui n’ont pu apparaître qu’après que l’évolution eut conduit au développement de systèmes nerveux complexes capables de créer des cartes et images sensorielles détaillées. Les sentiments ne sont donc pas purement mentaux : ce sont des hybrides d’esprit et corps. Leur fonction est de faciliter la gestion de la vie en informant l’esprit sur les états de notre monde intérieur.

Lorsque nous relions et associons des images dans notre esprit et que nous les transformons par notre imagination créatrice, nous produisons de nouvelles images qui sont autant d’idées concrètes ou abstraites. Les connaissances ne deviennent explicites que lorsqu’elles sont exprimées sous la forme de schémas d’images au sein d’un esprit. Ces schémas d’images reposent sur des cartes dynamiques produites à haute vitesse dans les cortex cérébraux des différents systèmes sensoriels, dont les cortex d’association, ainsi que dans des structures sous-corticales.

Lorsque les évènements mentaux que constituent les images s’inscrivent dans un contexte incluant des sentiments et une perspective de soi, ils deviennent des expériences mentales, c’est-à-dire conscients. En d’autres termes les contenus mentaux sont ressentis dans une perspective singulière, celle de l’organisme particulier auquel l’esprit est inhérent. L’organisme possède son esprit particulier ; l’esprit appartient à son organisme particulier. Esprit et conscience ne sont pas synonymes. Selon l’auteur : « La conscience est donc un état d’esprit particulier résultant d’un processus biologique auquel contribuent de multiples évènements mentaux » (p. 143). « Dans ma proposition la conscience est un état d’esprit enrichi. Cet enrichissement consiste à inclure dans les processus continus de l’esprit des fragments d’esprit supplémentaires…qui annoncent clairement que tous les contenus mentaux auxquels j’ai actuellement accès m’appartiennent… » (p. 156)

Ce que le scientifique en neurosciences cognitives français, Lionel Naccache, désigne par le néologisme de « rapportabilité » (« Si vous êtes capables de vous rapporter à vous-mêmes le moment que vous êtes en train de vivre, alors vous êtes conscients » (Parlez-vous cerveau ? » Odile Jacob 2018).

Antonio Damasio attribue un rôle important aux sentiments. Le sentiment survient à la fois dans mon esprit et dans mon corps. « Pour qu’un esprit conscient puisse émerger, il faut enrichir les processus ordinaires de l’esprit en y ajoutant des connaissances qui se rapportent à mon organisme et qui m’identifie comme le propriétaire de ma vie, de mon corps, de mes pensées » (p. 158). En d’autres termes la conscience se construit en ajoutant au flux d’images mentales que nous appelons « esprit » un autre ensemble d’images mentales qui donnent des références ressenties et factuelles au propriétaire de l’esprit. Il faut que les images soient informatives pour pouvoir contribuer à l’identification de leur propriétaire.

« SENTIR ET SAVOIR » est davantage qu’un ouvrage de vulgarisation d’un scientifique et philosophe à l’aise dans un rôle de passeur. Il amène à réfléchir sur, au moins à mon sens, trois questions majeures : l’importance du sensible, l’unité du vivant et la conscience.

Je n’insisterai pas sur l’importance du sensible versus la pure raison. Je me bornerai à citer le philosophe italien Emmanuele Coccia : « Nous considérons que nous sommes des êtres rationnels, pensants et parlants, et pourtant, pour nous vivre signifie avant toutes choses regarder, goûter, toucher ou sentir le monde » (« La Vie sensible » éd. Payot Rivages 2010). Et à renvoyer à la note de lecture publiée sur ce blog au sujet du livre d’Arthur Lochmann « Toucher le vertige ».

Il faut, en deuxième lieu, insister avec Antonio Damasio et d’autres – par exemple Brian Greene « Jusqu’à la fin des Temps » (Until the End of Time) publié chez Flammarion en 2021 - sur l’unité du vivant. A la base, toutes les cellules des organismes vivants se ressemblent. Selon notre auteur, tous les mammifères, les oiseaux et les poissons jouissent d’un esprit et d’une conscience. Il ajoute que même, selon toute vraisemblance, tous les vertébrés et de nombreux invertébrés ont un accès partiel à la conscience. Dire que les capacités d’adaptation humaines et non humaines sont radicalement différentes traduit, écrit-il, une vision « exceptionnaliste » erronée des facultés humaines. Antonio Damasio va même jusqu’à voir dans le comportement de certains animaux, en particulier les éléphants, une manifestation d’une conscience de leur souffrance provoquée par l’effet de la douleur et de la mort. De quoi mettre en doute la conception, tellement largement partagée qu’elle passe pour une évidence, du philosophe allemand Oswald Spengler (« Déclin de l’Occident »), selon laquelle l’Homme est le seul être qui connaisse la mort. Ce dont il tire que toute religion, toute recherche scientifique, toute philosophie procède la peur de la mort. 

En troisième lieu, le livre d’Antonio Damasio conduit à expliquer la subjectivité humaine sans recourir aux lieux communs comme aux constructions sophistiquées de l’idéalisme, sans faire appel à quelque forme de transcendance. Il amène à questionner le lien que l’on a tendance à établir entre la conscience et l’âme. Il procure en tout cas les bases sur lesquelles se construit une approche de la conscience en tant que phénomène physique au rebours du cartésianisme comme de l’héritage de notre culture judéo-chrétienne.   

Cela dit, ne nous emballons pas ! Antonio Damasio nous a prévenu dès les premières pages de son livre : les évènements mentaux sont des phénomènes complexes et certaines des idées et théories qu’il rapporte ne sont encore que propositions plausibles, faute de vérifications expérimentales suffisamment certaines. Lesquelles peuvent prendre encore beaucoup de temps. Il n’empêche, la science contemporaine trace pas à pas une voie prometteuse que la philosophie ne peut ignorer.

Lazare Z

 

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Commentaires
A
Je vivais au Canada quand j'ai rencontré le Dr Khiria sur la façon dont il a guéri un de mes amis Eric qui souffrait du virus de l'herpès et de la prostate, mais je voulais contacter le Dr Khiria à ce moment-là pour commander ses médicaments à base de plantes mais je n'en avais pas assez alors quand je viens en France, je paie les frais d'articles du Dr Khiria afin que le Dr Khiria me prépare les médicaments à base de plantes qui ont guéri mon sein et mon myélome après avoir bu les médicaments à base de plantes pendant deux semaines et j'ai été complètement guéri alors aujourd'hui je partage mon histoire sur ici pour que quiconque puisse lire et se rétablir avec les médicaments à base de plantes du Dr Khiria si la personne est malade ou a des problèmes de santé pour contacter le Dr Khiria pour préparer un médicament à base de plantes pour guérir.<br /> <br /> Coordonnées du Dr Khiria, il guérit également le VIH / sida, l'herpès, la SLA, la MPOC, le lupus, le diabète, l'hépatite, le cancer et d'autres maladies.<br /> <br /> Courriel : drkhiriaherbalcure@gmail.com<br /> <br /> Texte WhatsApp/Appel :+2347084710828<br /> <br /> s'il vous plaît dites-lui que j'ai écrit ceci sur un commentaire.
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