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Philodynamie
2 octobre 2020

EN RETRAIT(E) : 5) L'HIVER LUCIDE

 

« L’hiver, saison de l’art serein, l’hiver lucide »

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(Stéphane Mallarmé, « Renouveau »)

Si l’on excepte quelques privilégiés - au sens propre de bénéficiaires de lois d’exception - qui y accèdent encore jeunes quinquagénaires, la plupart partent à la retraite à l’approche de l’hiver de leur vie.

L’hiver de la vie.

« Je ne tiens plus jamais jamais entre mes bras

La mer qui se ruait et me roulait d’écume

Jusqu’à ce qu’à la fin tous les deux fussions las

Voici déjà beau temps que je n’ai plus coutume

De défier la neige et gravir les sommets

Dans l’éblouissement du soleil et des brumes »

(Louis Aragon, « Le Vieil Homme » dans le Roman Inachevé)

L’hiver de la vie, vieille rémanence d’une conception cyclique de l’existence qui irait de la naissance au printemps à l’hiver, une existence figée, à la fin, dans une étreinte glacée. Image forte mais trompeuse. Car l’hiver de la vie nous est propice à émerger de la confusion dans laquelle notre vie saturée d’avant avait pu nous entretenir. Si l’on n’a su y parvenir auparavant, c’est le moment de lucidité.

La lucidité n’est pas innée. Elle s’acquiert par l’expérience et plus encore le retour sur l’expérience, par l’épreuve et plus encore la réflexion sur l’épreuve subie. Elle est désillusionnement de la vie. De là que la maladie, compagne facultative mais fréquente du vieillissement, en tant qu’épreuve, en tant qu’elle nous fait décrocher du quotidien et laisse un temps disponible pour la pensée, est un terrain favorable au dégagement de la lucidité. La fragilité du corps fragilise nos représentations et nous fait prendre conscience de l’incertitude de nos perspectives d’avenir. Ce corps peut faillir, à tout moment, même sans prévenir. De là aussi que l’avancement en âge allié au loisir de réfléchir sans être pressé par le temps, puisque nous ne sommes plus guère ni absorbés par les mille occupations de la vie d’avant ni tentés par de vaines ambitions, y est également un terrain propice. Le philosophe François Jullien voit dans la lucidité une « vérité de retrait »et dans la démarche qui y conduit, le processus « de se retirer de ses adhérences » (« Une seconde vie » (Grasset 2017) Voir sur ce blog le compte rendu de lecture de cet ouvrage : « Une seconde vie ». Il évoque ainsi les adhérences des opinions convenues, des croyances non questionnées, des opinions toutes faites, des certitudes d’habitude. Devenir lucide, c’est questionner le conformisme que la vie a fini par installer, réfléchir sans objectif utilitaire, sans échéance, sincèrement, pour nous-mêmes.

Aragon encore, dans le Roman Inachevé :

« Ce qu’il m’aura fallu de temps pour tout comprendre

(…)

Ce qu’à la fin j’ai su comment le faire entendre

Comment ce que je sais le dire de mon mieux »

 

Plus encore sans doute, l’hiver est lucide si l’on admet l’inéluctable, si l’on accepte de regarder la mort en face. C’est le test déterminant. A l'âge où l'on prend sa retraite, l'illusion d'une perspective de vie sans limite bien définie se dissipe. Et ce même si l'on ignore les statistiques d’espérance de vie. Il est trop de signes. Le déni reste possible bien sûr, et beaucoup passivement s’aveuglent. C’est tellement plus confortable ! Laissons-les. Il ne reste au mieux que quelques années de bonne santé et peut-être quelques autres de déchéance physique et intellectuelle, le total notablement inférieur à celui des années de la vie passée. Paradoxalement, du moins en apparence, c'est pourtant là que réside l'opportunité de seconde vie. Le même François Jullien écrit : « quand on projette enfin sa mort en face de soi, qu'on commence de la regarder de plus en plus 'fixement' (à l'encontre du fameux :'Le soleil ni la mort...', c'est-à-dire que ce terme a quo est effectivement posé, (...) une seconde vie, de ce seul fait, a débuté ».

Regarder la mort en face, c’est ne plus se mentir ; c’est ne plus confondre l’essentiel et l’accessoire ; c’est le bûcher des vanités ; c’est se pénétrer de ce que le temps est désormais court et que chaque moment compte car le présent, à présent, n’est pas – n’est plus – réductible à l’indétermination d’un instant fuyant, mais concrètement ce qui va de maintenant à sa mort. Ne plus se bercer d’illusions, c’est l’ultime acte de responsabilité personnelle, vis-à-vis de soi-même, comme vis-à-vis des autres d’ailleurs.

Lazare Z

(A SUIVRE…)

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  • Un blog qui aborde divers sujets – en vrac : sciences, philosophie, politique, art, société, histoire, etc. - pour s’orienter dans notre monde pressé et compliqué, avec l’intention de conduire la réflexion dans une pratique d’enquête au sens pragmatique, d’appréhender la philosophie comme une activité (d’où l’appellation « Philodynamie »), sans prétention ni esprit de système.
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